« Les territoires conquis de l’islamisme » (2)

Le clientélisme en faveur d’activistes musulmans croit et ses effets sont affolants. Mais face à ce genre de problèmes et au paysage global qu’il dépeint, quelles solutions avance Bernard Rougier?

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Une remarque préliminaire après lecture du terrifiant paysage dessiné par Rougier. Pour qualifier les salafistes et plus généralement les ardents conservateurs islamiques, une expression revient souvent: «lecture littéraliste». On le dit tout naturellement. Ce qualificatif pose pourtant la question éternelle: est-ce que suivre à la lettre le Coran mène aux convictions et mœurs décrits par Rougier?

Clientélisme: des contreparties incontournables

Parmi les groupes salafistes étudiés par Rougier, on trouve ceux, majoritaires, qui refusent le jeu démocratique, et ceux qui l’acceptent pour faire avancer l’islam, portés souvent sur des listes de gauche. On ne sait laquelle des deux options est la plus inquiétante.

Les voix des quartiers ne s’obtiennent pas sans contrepartie, dont la promesse d’engager des activistes religieux dans la galaxie municipale. L’Association des musulmans d’Aubervilliers (AMA) , grâce à son soutien au maire Pascal Beaudet, a reçu des postes d’adjoints: «délégué à l’enseignement et aux seniors»; «délégué à la jeunesse», «délégué à l’emploi et à l’insertion professionnelle».

Un maire a reçu un rappel à l’ordre d’un leader musulman: il avait promis d’embaucher cinq de ses amis s’il était élu. Les mairies, observe Rougier, doivent se plier à ces pressions «sous peine de subir des sanctions collectives (incendies de véhicules, émeutes) ou individuelles (menaces physiques, agression)…»  

Un membre de l’AMA:

«… il y a plein de frères qui travaillent grâce à la mosquée. Je connais un frère qui travaille grâce à l’action sociale de la ville. Il est entré parce qu’il y a trois conseillers municipaux qui sont dans l’association. Ils l’ont fait entrer avec un autre frère. Je connais un frère chauffeur de bus par exemple, qui vient toujours à la mosquée, qui a fait rentrer un frère avec lui. Il y a un surveillant de la mosquée qui vient du Maroc, qui travaille au marché d’Aubervilliers. Vous voyez, il y a plein d’exemples comme ça. Il y en a un, on l’a fait rentrer à la poste d’Aubervilliers et un autre, dans une société d’ambulances. »

Pour la façade, les dirigeants des mosquées les plus extrémistes disent défendre «un islam d’ouverture, d’intelligence, de culture, d’amour». Et chaque attentat est une occasion de se victimiser. A propos de celui de la Préfecture: «Et nous, en ces jours-ci, on constate une pression énorme et une politique encore plus énorme à l’encontre des musulmans et de leur religion.… Alors que nous-mêmes, les musulmans, nous sommes les premiers à condamner toute forme de terrorisme sur la terre entière!»

Lorsqu’une sénatrice de Seine-Saint-Denis se montre favorable à l’interdiction du voile dans les sorties scolaires ou à l’interdiction du burkini, ils évoquent la «haine envers les musulmans». La haine qu’ils expriment eux-mêmes de manière exacerbés contre les «mécréants».

C’est une tendance que les musulmans modérés ne combattent pas. Rougier n’en a pas vu un seul affronter un imam haineux ou un salafiste (C dans l’air du 09.01.2020). Est-ce par peur ?

Il reconnait que le déni a caractérisé le pays, mais il ne fait pas d’allusion aux lanceurs d’alerte qui depuis des décennies critiquent, démasquent et dénoncent. Ceux qui ont eu et ont encore pour remerciement les accusations de suppôts de l’extrême droite, islamophobes et racistes.

 

Quels remèdes? Le chercheur cale

Une recherche aussi pointue enrichit le savoir et fournit au politique un matériau qui l’aide à la prise de décision.  Mais ce que décrit Rougier est si affolant, si urgent, qu’on espère de sa part quelques idées. D’autant que de multiples remèdes ont été tentés contre les maux des banlieues, sans succès. Que faire ? quelle médication ?

C’est ce que demandent avec espoir les sénateurs qui l’accueillent, eux-mêmes souvent confrontés à ces problèmes. Mais des idées, des solutions, Bernard Rougier ne leur en a pas donné. N’en a-t-il pas ? Réserve-t-il ses propositions à de plus hautes instances politiques ? Considère-t-il que plus rien n’est possible? Ses réponses sont aussi désespérantes que son diagnostic.

Voici la substantifique moelle des questions des sénateurs et des réponses du chercheur. (C’est moi qui souligne).

– Sénateurs : « L’ arsenal juridique est-il suffisant pour lutter contre cet islamisme qui assigne des individus à résidence et provoque le séparatisme de la République? »

Rougier : «Il m’est difficile de vous répondre: c’est à vous de décider s’il est suffisant.»

Le professeur rappelle les discours misogynes gratinés d’un imam et conclut: «On devrait donc considérer que cet homme légitime le viol conjugal, milite contre l’égalité des citoyens, etc., mais si l’on ferme la mosquée, ses fidèles se diront victimes de l’islamophobie et continueront à organiser des cours dans les appartements. Nous sommes piégés.»

«… pour ne pas être répressif, il faudrait rendre possibles d’autres sociabilités afin de ringardiser ces comportements. (…) Comment constituer un milieu de vie susceptible de casser cette vision de l’islam ? C’est impossible (…) Il faudrait un écosystème avec le ciné-club, le prof dévoué, des étudiants ayant des perspectives, une mobilité plus grande, moins de chômeurs, afin d’empêcher ces prédicateurs de resocialiser les individus sur le long terme… »

Le pire pour lui, c’est le clientélisme. Dans certaines communes, «il faut passer par la mosquée pour trouver un logement social ou un emploi dans l’équipe municipale. C’est terrible!» (…) «Il faudrait mettre en œuvre des sociabilités alternatives, dessiner des perspectives, trouver des solutions, pour sortir les jeunes de ces milieux, les faire voyager.»

– Que pensez-vous du CCIF (réd : Collectif contre l’islamophobie en France), qui mène un djihad judiciaire contre ceux qui osent parler ?

Le professeur montre qu’il connait la malfaisance du CCIF, mais n’avance aucune solution.

Autres questions :

– Quel est votre avis sur la porte ouverte que la France ménage à la Ligue islamique mondiale ?

–  La tendance à l’infiltration de l’islam de France par les salafistes est-elle réversible? Votre approche est qualitative. Pouvez-vous nous donner des éléments quantitatifs ?

 «Le législateur, c’est vous !»

 – Mais nous voulons votre avis de chercheur!

 … il faut des moyens. Or nous ne sommes que 2 ou 3 à faire ce travail en France.

… Réversible? Oui, à condition d’occuper le terrain. Or mes collègues passent à la télévision et publient des livres, ce qui est bien, mais les lecteurs sont déjà convaincus. Ce soir, une conférence se tiendra à Normale Sup sur les versets du Coran, qui déconstruit le salafisme: qui ira porter ce travail à la mosquée Al-Ansar? (d’ Auberviliers) (…) Les musulmans doivent porter une parole républicaine et anti-islamiste dans les quartiers -pas à la télévision! (…) Avec du courage et des moyens politiques, oui, c’est réversible. Il faut des personnalités charismatiques capables d’entraîner cette jeunesse, pas des éducateurs dont celle-ci se moque, et qui sont trop proches de leur public. Or il n’y en a pas. D’où mon pessimisme.

Plusieurs questions se succèdent sans qu’on laisse le temps à Rougier de répondre:

– À Trèbes, Radouane Lakdim a été suivi par les dispositifs sociaux. Il appartenait au club de football de la commune, était éducateur et présentait tous les signes d’une intégration réussie… (Ses attentats on fait cinq morts, dont Arnaud Beltrame)

– L’islamisme possède également des liens avec la Turquie. Disposez-vous d’éléments sur le sujet? À Nantua, nous avons déjà connu les listes communautaires -trois élus du conseil municipal en sont issus- et je crains que le phénomène ne perdure.

Je préfère, pour ma part, mener des études qualitatives, qui seules permettent de fournir des explications et de dresser des hypothèses. À cet égard, la destruction des Renseignements généraux a considérablement nui à la connaissance des tissus sur le territoire.

– Nous connaissons tous des musulmans respectueux de la République et de la laïcité et soucieux de protéger l’islam de l’islamisme. Disposent-ils des moyens de mener ce combat eux-mêmes ? Le soutien des pouvoirs publics leur est-il nécessaire ?

 Ils ne peuvent pas le faire seuls et ont besoin de l’aide de l’État.

– Jusqu’où l’État doit-il intervenir dans un problème religieux ?

Pour lutter contre l’islamisme, nous devons nous appuyer sur les deux versants de la démocratie moderne, l’un étant libéral – le droit, la liberté – et l’autre républicain.