2. Les élites renient la Chine pour d’autres chimères
La gauche a besoin de modèles. De Cuba au Venezuela, elle encore voulu croire au Grand soir. Quelques dénonciateurs de ces dévots émergent. Ils ne sont pas communistes, et souvent profondément humanistes.

En 1959, CUBA devient une Xème dictature, et pour longtemps, un autre pilier de la bêtise.
De 1975 à 1979, LE CAMBODGE MAOÏSTE suscite encore quelque ferveur avant et durant le génocide qui fera 1,7 millions de victimes. Les Khmers rouges, comme en leur temps les Gardes de même couleur, sont plus extrémistes encore que leur modèle. Ils visent notamment à purifier le pays de la civilisation urbaine et bourgeoise. La gauche veut encore croire.
Pol Pot a étudié à la Sorbonne comme Yeng Sary et Khieu Samphan, qui seront ses fidèles lieutenants. Ils étaient adhérents du PCF et lisaient quotidiennement L’Humanité qui fêtera avec des cris de joie leur arrivée au pouvoir.
Là encore, un amoureux du «pays des rizières» et de son peuple, François Ponchaud, humaniste qui manie le latin, le grec, l’hébreu et apprendra le khmer vit depuis une dizaine d’années dans le pays comme prêtre catholique missionnaire français. Il y retournera en 1993 pour plusieurs autres décennies.

Ponchaud est témoin de l’évacuation de Phnom Penh par les Khmers rouges en avril 1975 et expulsé du pays. Un peu comme Simon Leys, il recueille les témoignages de réfugiés, analyse les discours tenus à la radio, décrypte les buts de la révolution, l’organisation de la nouvelle société, etc. C’est le premier à sonner l’alerte à propos des nouveaux dictateurs.
Le 25 décembre 1975 le Vietnam envahit le Cambodge mettant fin au régime de Pol Pot, mais pas à la douleur du peuple.
Ponchaud publie en 1977 «Cambodge année zéro» qui fait découvrir au monde l’horreur du régime des Khmers rouges. Mais pas à tous les lecteurs du Monde, de Libération ou du Nouvel Observateur. Les intellectuels français se battent dans les médias pour savoir si le génocide est de la responsabilité exclusive des Américains , auquel cas on le met en doute ou on en adoucit les exactions (comme Noam Chomsky et Régis Debray), ou s’il est le fait des Khmers seulement.

Un autre humaniste, Pierre-Emmauel Dauzat, traducteur réputé, spécialiste de la Shoah, du judaïsme et du christianime, a traduit plus de 300 livres. Il tente aujourd’hui de comprendre pourquoi ’il y avait, en France, une sorte de désinformation ou de minimisation quant aux évènements au Cambodge, et pourquoi la patrie des Droits de l’Homme s’est une fois de plus fourvoyée et a suivi l’itinéraire dévoyé d’intellectuels qui, au nom du «Grand soir» ignorèrent les victimes.
Pour retracer cet itinéraire, Pierre-Emmanuel Dauzat a appris le khmer. En janvier dernier, il déclare dans L’Express: «lorsque dès les 24-25 octobre 1975, dans La Croix, puis les 17-18 février 1976, dans Le Monde, le père François Ponchaud évoquait les exactions du régime (évacuation des villes, exécutions systématiques, travaux forcés et, déjà, famine), son témoignage demeurait largement inaudible.» Parmi les artisans bruyants de l’inaudible, Noam Chomsky et Régis Debray.
La RÉVOLUTION KHOMEINISTE, à la fin des années 70, offre une nouvelle certitude aux croyants. Jean-Paul Sartre et Michel Foucault rendent visite à l’ayatollah à Neauphle-le-Château. Sartre déclare: «Je n’ai pas de religion, mais si je devais en choisir une, ce serait celle de Shariati », (l’un des inspirateurs de la révolution iranienne)… Michel Foucault, fasciné, perçoit une «spiritualité politique» (…) «un mouvement traversé par le souffle d’une religion qui parle moins de l’au-delà que de la transfiguration de ce monde-ci».

En 1978-1979, de nombreux intellectuels français sont comme eux enthousiasmés par cette «révolution religieuse» à laquelle ils assistent une fois de plus les yeux fermés. Le Chah d’Iran est diabolisé car suppôt de l’impérialisme américain. Comme dans les épisodes précédents, Le Monde et Libération relatent avec ferveur la nouvelle Bonne nouvelle. Communistes et marxistes communient en chœur.
Parfois, un modeste indice fait reprendre ses esprits. Comme cette amie journaliste qui perd d’un coup sa foi en Khomeiny à Neauphle-le-Château lorsqu’il lui intime l’ordre de mettre un voile pour l’interview.
Arrivé au pouvoir, Khomeiny ne laisse pas longtemps ses thuriféraires rêver. Il liquide ses opposants politiques (et même ceux qui ne le sont pas vraiment), et organise sa théocratie. Parmi les nouveautés, les exécutions par pendaison ou lapidation des homosexuels et des femmes infidèles, le port du tchador. Fin de la nouvelle illusion.
LE VENEZUELA D’HUGO CHAVEZ, havre d’avenir radieux pour les «anticapitalistes» et «anti-impérialistes» est soutenu par l’intelligentsia à la recherche d’un nouveau leader à vénérer. Jean-Luc Mélenchon est l’invité spécial du commandant-dictateur vénézuélien en juillet 2012. Hugo Chavez l’adoube publiquement. Le politicien célébrera avec autant d’ardeur la «révolution bolivarienne».
LE NICARAGUA. Je me souviens de l’excitation que suscitait cette révolution chez mes amis intellectuels. Le pays tombe sous le joug de Daniel Ortega qui en est aujourd’hui à son quatrième mandat. Inspiré par la théologie de la Libération, son régime persécute l’Eglise catholique depuis plusieurs décennies. Des milliers d’associations sont interdites, les processions sont prohibées, les agressions se multiplient. Des centaines de milliers de personnes ont quitté le pays ou ont été déchues de leur nationalité.
ISRAËL PREND LE RELAIS
Les intellectuels ont gardé de ces époques une tendance au totalitarisme que les démocraties européennes goûtent aujourd’hui.
Cette fois, c’est un pays entier que les activistes veulent supprimer, le seul démocratique de la région, le seul qui défend les valeurs occidentales (un péché mortel aujourd’hui). L’élite agit de concert avec des mouvements islamistes et terroristes.
«Les Juifs, jadis victimes exemplaires, ont perdu cette couronne au profit des Palestiniens dont le procès en béatification se poursuit sans relâche depuis un demi-siècle.» (Pascal Bruckner)
Après le pogrom du 7 octobre et la guerre, la vénération des Palestiniens et la haine d’Israël et du sionisme font exploser en Occident un dramatique antisémitisme.
Depuis les années 1970, le grand Satan américain est associé au petit Satan israélien. Le sionisme est désormais synonyme d’impérialisme, de colonialisme, de racisme et de crimes contre l’humanité.
Le 4 août 2014, raconte Taguieff, Rony Brauman, Régis Debray et Edgar Morin signent un appel contre Israël dans Le Monde, «avec la collaboration d’une veuve infatigable plus israélophobe encore qu’eux-mêmes, Christiane Hessel». De son mari dont l’indigence, les mensonges et la prétention ont tant enthousiasmé les intellectuels, il ne reste, après son passage entre les griffes savantes de Taguieff qu’une loque.
Dans les années 2010, Stéphane Hessel, accompagné de Régis Debray, rencontrera à Gaza le chef islamo-terroriste du Hamas Ismaïl Haniyeh. Le 8 janvier 2012, à Tunis, Haniyeh promet sous les ovations de près de 5000 personnes qui se sont essuyé les pieds sur une étoile de David, de ne pas «céder un seul bout de la Palestine»… Hessel a ainsi terminé sa carrière par un «engagement total en faveur des milieux palestiniens islamistes, recourant dans une perspective jihadiste au terrorisme, et ne cachant nullement leur objectif final: la «libération de la Palestine», ou encore «la fin de l’occupation» c’est-à-dire la destruction d’Israël. (Taguieff)
Le marxisme joue un rôle mineur ici et une haine hallucinante se concentre sur l’État juif. L’absurde accusation d’apartheid contre les Arabes est dénoncé et l’apartheid contre les Israéliens réclamé sans trêve : demande de rompre les liens économiques et universitaires, de refuser la présence d’artistes ou de sportifs, l’ensemble agrémenté d’agressions en augmentation exponentielle.
L’apartheid du monde musulman à l’égard des femmes et des minorités est ignoré. Les pendaisons des femmes et hommes iraniens en révolte contre l’obscurantisme leur est indifférent. Leur sens de la justice n’a qu’un objet, «le peuple palestinien» dont on ignore tout, sauf qu’Israël est censé commettre un génocide contre lui. Ils imaginent les Palestiniens hostiles au Hamas, une fable qui convainc de moins en moins. Et l’indifférence règne encore face à l’enlèvement et la torture de dizaines d’otages enfermés dans des tunnels et dont beaucoup meurent à petit feu ou sont assassinés.
Les intellectuels ont trouvé leur nouveau combat. Ils ont renoncé à construire «le socialisme» pour adhérer à l’islamisme.
On attend toujours l’acte de contrition
URSS et Chine ont commis les pires crimes de l’histoire du marxisme et tous les régimes qui ont essayé cette doctrine sont devenus des dictatures. Il est incroyable que des «partis communistes», même avec diverses appellations, existent encore.
Personne n’a demandé aux aveugles d’alors leur contrition. Ils ont bénéficié au contraire de faveurs médiatiques : le traitement est inégal selon que tels crimes ont été commis par des «bourgeois réactionnaires» ou des communistes.
Ces idiots utiles des folles dictatures montrent l’incroyable force de l’idéologie. Plutôt que vérifier leurs convictions, ils ont cherché à les plaquer sur des réalités totalement contraires aux idéaux qu’ils proclamaient. Et la découvertes de ces réalités a été empêchée par un terrorisme intellectuel impitoyable. Il est toujours à l’œuvre.
Ils ont passé d’une tyrannie à l’autre sans jamais battre leur coulpe. Ils se sont à peine excusés lorsqu’ils ont appris les atrocités de leurs idoles. Ils ne se sont pas désespérés d’avoir refusé avec dédain les témoignages. Les écrivains qui faisaient partie de ces coupables aveugles ont continué leur brillante carrière.
Aaron a dénoncé dans L’Opium des intellectuels, la bienveillance de cette élite à l’égard des régimes communistes. «Cherchant à expliquer l’attitude des intellectuels, impitoyables aux défaillances des démocraties, indulgents aux plus grands crimes pourvu qu’ils soient commis au nom des bonnes doctrines, je rencontrai d’abord les mots sacrés : gauche, Révolution, prolétariat.» Pour lui, les partis marxistes fonctionnent à l’instar d’une Église. Soutenir un parti unique qui remplace la démocratie leur est tout à fait naturel. Et les parti uniques, c’est ce que nous trouvons dans la plupart des pays communistes.
La bonne conscience de la gauche et de l’extrême gauche est inaltérable, elle n’a pas cessé de se croire l’idéal du Bien. Etouffée par son sentiment de supériorité morale, elle se croit du côté des exploités, des aliénés, alors qu’elle a souvent contribué à en augmenter les rangs.
Elle a témoigné d’un manque total de sensibilité et d’empathie. Elle voyait le peuple ou «les masses» comme des foules au visage figé par la joie révolutionnaire, foules dont ils ignoraient tout, mais sur lesquels ils fantasmaient beaucoup. Comme aujourd’hui les Palestiniens. Le paradoxe est que parmi les défenseurs de ces peuples on trouve des catholiques fervents comme Simon Leys ou un missionnaire, François Panchaud. Eux ont voulu connaître les habitants, les aider, faire apparaître ce qu’ils subissaient et non pas les assimiler à une doctrine. Ils les ont aimés.
Pierre-Emmanuel Dauzat à propos Cambodge: «Et il semble qu’on ait du mal aujourd’hui à sortir du carcan idéologique qui aura interdit d’entendre les cris des victimes quand il était encore temps. En ces temps étranges où l’on situait Aron à la droite de Brejnev et où Alain Bosquet, le poète du « programme commun », s’offusquait que L’Archipel du Goulag fût mal écrit et servît l’impérialisme américain, peu voulaient entendre Soljenitsyne quand il annonçait que la chute de Saigon et de Phnom Penh conduirait au socialisme des camps.» (L’Express, 10.01.2012)
Luc Rosenzweig remarque lors de la mort de Simon Leys en août 2014: «L’encens qu’ils répandent aujourd’hui autour de son cercueil ne saurait dissiper l’odeur nauséabonde des tombereaux d’ordures qu’ils déversèrent sur lui lors de la publication de ses ouvrages consacrés à la Chine de Mao…» https://www.causeur.fr/simon-leys-chine-eternite-28865
Les intellectuels «progressistes» ont gardé l’arrogance de ceux qui, pensant avoir tout compris, méprisent toute opinion divergente. Ils ont gardé l’habitude des dénonciations rituelles. Aujourd’hui celle de «l’extrême droite».
Question erreurs communistes, tout est oublié. Mais l’esclavage, la colonisation ou le racisme sont réinventés à la charge des Blancs et une idéologie délirante l’accompagne: le wokisme, un terrorisme intellectuel pareil à celui des années noires.
Et la bêtise a atteint son sommet.
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