Montée en puissance des juges: ainsi fond, fond… la démocratie

Un livre analyse le mal qui ronge le système français. Le souverain l’est de moins en moins au profit des juges par ailleurs obnubilés par les droits individuels. L’intérêt général en fait les frais.

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Le droit n’a pas de secret pour Jean-Eric Schoettl. Il a été durant dix ans secrétaire général du Conseil Constitutionnel, il est conseiller d’Etat honoraire. Son dernier essai «La démocratie au péril des prétoires» passe au tamis l’évolution du droit français. Un droit qui relève de moins en moins du souverain (parlement et gouvernement), et de plus en plus du juge, hors de tout débat démocratique.

  

«Vouloir faire la démocratie par le droit
plutôt que le droit par la démocratie.»

Sous la pression des ONG droits-de-l’hommiste et grâce à la soumission aux traités européens, les droits individuels se sont multipliés et la panoplie des mesures destinées à les assurer s’est élargie. Un exemple: toute personne sanctionnée par une loi peut la contester en présentant une «question prioritaire de constitutionnalité». Ce nombre d’affaires n’a cessé de croître et si le justiciable n’obtient pas gain de cause, la question peut être sans trêve remise sur le métier… jusqu’à la victoire.

 

«La « démocratie des droits » a le juge comme acteur majeur et les groupes militants comme directeurs de conscience et comme procureurs.»

 

La France a accepté que le droit européen l’emporte sur le sien. Ce droit est peu à peu devenu hégémonique, il concerne entre autres la justice et la police, l’entrée et le séjour des étrangers, les relations de travail, la propriété intellectuelle, la bioéthique, les droits de l’enfant, etc.

Il interdit la maîtrise des flux migratoires. Le droit des immigrés, y compris clandestins, leur est toujours plus favorable.  Il oblige le regroupement familial, interdit de faire du séjour irrégulier un délit, interdit de retenir les demandeurs d’asile en attendant qu’il soit statué sur leur demande, empêche d’éloigner un étranger qui risquerait un procès inéquitable chez lui. Quant aux contrôles d’identité, ils ne peuvent avoir pour finalité l’examen de la régularité du séjour des étrangers.

Ces derniers temps, le gouvernement français annonce des mesures qui lui permettraient de reprendre la main sur l’immigration. Elles s’opposent tellement au droit européen (et à la gauche) qu’on imagine mal que le gouvernement engage l’affrontement.

Parmi les exemples que cite l’auteur à propos des conséquences des mesures deMaire 2022-11-06 092051.jpg protection des immigrés, l’itinéraire qui conduit un Rwandais à l’assassinat du père Olivier Maire (août 2021) est le plus hallucinant.

Cet étranger était en situation irrégulière depuis neuf ans, avait plusieurs fois été débouté du droit d’asile. Une obligation de quitter le territoire français (OQTF) avait été annulée par un juge administratif.

Libre, ce Rwandais a mis le feu à une cathédrale, il a été mis en détention provisoire. Pourquoi n’a-t-il pas été expulsé à l’issue de celle-ci? Parce que pour les juges, il devait être présent à son procès. Celui-ci n’était prévu qu’en 2022. Et c’est ensuite que le coupable devrait quitter les territoire.

S’ajoute l’aspect psychiatrique du prévenu. Juridiquement, il ne pouvait pas être refoulé si son pays ne possédait pas d’établissement adapté à sa maladie. Mais il quitte l’hôpital psychiatrique français sans problème 10 jours avant l’irréparable.

 

«Il n’est donc ni incarcéré, ni interné, ni éloigné
à la veille du meurtre.»

 Autre décision stupéfiante: selon le projet de loi sur «le séparatisme islamique» reformulé après de multiples reculades juridiques, un titre de séjour pourrait être refusé ou retiré si l’étranger rejette les principes de la République.

 La majorité du Conseil constitutionnel a considéré que ces principes -utilisés depuis plus d’un siècle dans le droit public, y compris dans tous les travaux préparatoires dudit Conseil, qui fournissent même le nouvel intitulé de la loi («confortant le respect des principes de la République»), était trop imprécis pour fonder de telles décisions. «Cette motivation laisse pantois», commente Schoettl.

S’ajoute à ces droits la multiplication des voies de recours. Gérald Darmanin dit vouloir les faire passer de 12 à 4. Il en existe plus selon l’excellente Charlotte d’Ornellas qui connait ce dossier sur le bout du doigt et le soulève régulièrement dans «Face à l’info» de 19h à 20h sur CNews.  

A force de se vouloir protecteur des libertés individuelles, le droit en vient à ne plus protéger que l’individu pris en faute, «surtout s’il prend les traits de l’autre et ce aux dépens de tous les autres».

«Une pulsion purificatrice parcourt
les palais de justice»


Les juges ont aussi la même obsession que les activistes qui les sollicitent, la discrimination. Elle a peu de limites. En 2010 par exemple, un juge a annulé une circulaire du ministre de l’intérieur, car elle mentionnait le mot «Roms».

Question sécurité, tout durcissement est jugé liberticide. C’est la raison du refus de créer d’un fichier national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, ou du refus d’accès des maires aux données relatives aux radicalisés.

Le manque de places de prison conduit les juges à prononcer des mesures alternatives souvent inefficaces tels le «rappel à la loi», des travaux d’intérêt général, le bracelet électronique.

« Ce ne sont plus les peines prononcées qui déterminent
le taux d’occupation des prisons mais le taux d’occupation des prisons qui détermine les peines prononcées. »

Ce qui disparaît dans l’obsession des droits individuels, c’est le souci de l’intérêt général, du bien commun, de la protection de la population.  

Les juges s’opposent régulièrement à l’État régalien en faveur des catégories qu’ils estiment discriminées. Certains pratiquent un militantisme pur et dur qu’a illustré l’affaire du «mur des cons». La présidente du Syndicat de la magistrature sera condamnée à une modeste amende, puis promue à une plus haute fonction par la garde des Sceaux.

«Le juge rallie les mutins du système et suscite
le ravissement médiatique.»

 Le Code civil stipule que «toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de réparer». Dans une affaire récente, c’est l’Etat qui s’est vu condamner à 10 millions d’euros par semestre pour n’avoir pas respecté la diminution promise des émissions de gaz à effet de serre. La première amende a été versé aux organisations de lutte pour l’environnement. Et tant que le dommage écologique n’est pas réparé, la rente est garantie.

Dans ce cas, ironise Schoettl, «les activistes demandent au juge d’ordonner des mesures sans dire lesquelles; le juge ordonne au gouvernement de prendre des mesures sans préciser lesquelles; le gouvernement invoque les mesures qui résulteront d’une loi non encore adoptée et moins encore évaluée.»

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Une autre procédure conditionne l’octroi des fonds européens au respect de l’État de droit. Elle met en cause la Pologne et la Hongrie. Les atteintes à l’État de droit tiendraient en des «attaques contre la liberté des médias et des journalistes, les migrants, les droits des femmes, les droits des personnes LGBT et la liberté d’association et de réunion ».

En réalité, les traités n’impliquent rien de précis en matière sociétale (IVG, mariage homosexuel, etc.). L’Irlande par exemple n’a longtemps reconnu ni le divorce, ni l’IVG, ni le mariage homosexuel sans que l’UE ne s’en émeuve. C’est que le problème de cette dernière n’est pas «l’État de droit», mais la teinte conservatrice des gouvernements en cause.

On aura compris que les responsables de l’Union s’asseyent à journée faite sur l’article 4 du traité sur l’Union européenne qui affirme qu’elle «respecte l’identité nationale des Etats membres inhérente à leur structure fondamentale politique et constitutionnelle ».

 

« La démocratie au péril des prétoires. De l’Etat de droit au gouvernement des juges », Gallimard 255 p.
Jean-Éric Schoettl est chroniqueur au Figaro d’où est tiré  le dessin de Fabien Clairefond.