Les mutilations sexuelles augmentent, l’islam en est une cause majeure (1)

De nombreux pays africains excisent moins, mais la croissance démographique et la reconnaissance du fléau en Indonésie augmentent le poids des populations musulmanes dans ces pratiques.

chiffres mutilations

 

LA DIMINUTION DU FLÉAU: UN LOINTAIN MIRAGE

Ce crime sanglant contre l’humanité féminine, ces souffrances infligées dans le silence depuis au moins  deux millénaires, entrent  dans la catégorie de «défense des droits humains», mais concernent des centaines de millions de citoyens. Ce crime tient pourtant bien moins de place dans l’actualité que l’homophobie ou les revendications liées au genre, un combat plus nouveau, plus à la mode, plus excitant. Il est vrai que l’Occident ne pratique pas ces barbaries, même si comme il se doit, on en a trouvés quelques-unes: clitoridectomies de médecins patriarcalement illuminés qui ont soigné ainsi des nymphomanes, des femmes qui se masturbaient ou des lesbiennes.

Le total des mutilations génitales sexuelles diminue un peu (selon les pays) et progressent beaucoup. Cette croissance a plusieurs origines :

– On découvre l’existence de MGF dans de nouveaux pays, hors Afrique. Depuis 2013-2014, l’agence onusienne a intégré à ses statistiques certains pays du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est. Mais la Malaisie, par exemple, où la prévalence serait de 60% à 90% dans la population musulmane n’est pas encore incluse. Des indices de MGF existent pour Oman, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Iran, le Koweit, l’Inde.

– Dans de nombreux pays exciseurs africains, les mutilations diminuent dans la jeune génération. Mais la croissance démographique les fera encore augmenter. Selon l’UNICEF, si cette tendance se poursuit, le nombre de filles soumise à ces tortures augmentera inexorablement durant les 15 prochaines années.

Enfin, les résistances. L’islam est au cœur de ces pratiques et dans certains pays, des organisations d’imams et oulémas s’opposent aux projets d’interdiction des gouvernements. C’est le cas en Malaisie et en Indonésie victimes du radicalisme qui s’étend.

C’est en 2014 que l’UNICEF fait enfin figurer l’Indonésie dans ses statistiques. En 2013, j’annonçais ces lendemains douloureux. Des études à disposition depuis dix ans montraient l’ampleur de la calamité. Les chercheurs ont constaté environs 30 % d’interventions «symboliques», soit diverses manières de charcuter le clitoris: ponction, percement, incision, cautérisation… et encore scarification des parties génitales, introduction de substances dans le vagin pour le resserrer. Tous actes classées dans la catégorie mutilations par l’OMS. Mais l’écrasante majorité des Indonésiennes de l’étude avaient subi une forme ou une autre de clitoridectomie. Conséquence: le nombre de filles mutilées (50% de prévalence) augmente dans les statistiques globales de l’UNICEF d’un million par année. On passe de 3 à 4 millions.

Mais l’agence affirme encore en 2017 à l’occasion de la «Journée internationale de tolérance zéro des MGF»: «Si cette tendance perdure, 3 millions de jeunes filles risquent de subir des mutilations génitales féminines chaque année». L’UNICEF l’estime déjà elle-même, avec l’Indonésie, à 4 millions. Elle préfère indiquer le nombre de femmes victimes de ces pratiques dans le monde.

Estimation du nombre de femmes mutilées :

2007: 92 millions (Afrique)

2013: 125 millions (Afrique, Yemen et Irak)

2016: 200 millions (Idem + Indonésie)

C’est grâce à Wadi, une ONG irako-allemande qui travaille au Kurdistan irakien que le rapport de l’ONU a aussi inclus pour la première fois cette région dans ses statistiques. Gouvernement kurde et parlement de l’époque (c’était avant l’EI) se sont engagés avec détermination dans la lutte. Une loi d’interdiction, a été votée, malgré une pétition de 550 islamistes et mollah opposés au projet. Le gouvernement s’est montré très coopératif dans la promotion de l’interdiction par les ONG, notamment sur des chaînes de télévision. C’est un des pays où le fléau a le plus rapidement diminué.

Nouvelle positive tout de même: le rapport le plus récent de l’UNICEF (2016) montre qu’après 30 ans d’efforts, le taux de MGF est en nette diminution dans les tranches d’âge les plus jeunes, mais la différence est moindre dans les pays les plus exciseurs et les plus peuplés. Les taux de prévalence des MGF chez les filles âgées de 15 à 19 ans ont sensiblement baissé, notamment au Libéria, au Burkina Faso, au Kenya, mais aussi en Égypte. Dans ce dernier pays, en l’espace de 19 ans, la prévalence tous âges confondus est passée de 97% à 92%; au Mali en 17 ans de 94% à 89%. Ce sont la Somalie, la Guinée et Djibouti qui ont le taux de mutilations le plus élevé, plus de 90%.

Difficile aveu

Pourquoi l’UNICEF ne mentionne-t-elle pas d’autres pays du Moyen-Orient ou d’Asie dans ses rapports? «Parce qu’elle n’a jamais inclut le module des MGF dans ses enquêtes», répond Oliver Marc Piecha un activiste de Wadi dans une interview. Si vous ne questionnez jamais sur ce sujet, vous n’aurez aucun problème officiel de mutilations. A l’inverse, l’ONU inclut depuis 20 ans ce module en Afrique, elle a donc une foule de données.» Et pour étudier la question, il faut l’accord des gouvernements.

En Afrique, d’innombrables activistes, dont des imams, ont travaillé avec énergie à faire supprimer le fléau dans leurs villages. Or, l’UNICEF affirme depuis des années à ces militants, aux sponsors, aux ONG et aux gouvernements, que les excisions sont en baisse grâce à eux. Il est très difficile de dire tout à coup: «Désolés, on doit l’avouer, les excisions sont bien plus nombreuses que tout ce qu’on vous a affirmé, elles sont condamnées à augmenter et le travail à accomplir est encore infiniment plus grand que celui qui l’a été

Autre obstacle: pour en savoir plus, l’ONU devrait réexaminer sa méthodologie. Dans les pays du Moyen-Orient, la sexualité est un grand tabou. Certains hommes ne savent même pas que leurs filles et même leur épouse son mutilées. Difficile de poser des questions sur les MGF dans une région où personne n’est préparé à y répondre.

Prédominance musulmane

Tous les pays qui excisent comprennent une population musulmane, même si certaines populations chrétiennes ou ethnies animistes excisent davantage dans certaines régions. Le chercheur Gerry Mackie remarque que les MGF existent «uniquement au sein ou à proximité» de groupes musulmans. Et il décrit les pays qui excisent comme une zone «étrangement continue» en Afrique, allant du Sénégal à la Somalie et de l’Égypte à la Tanzanie.

UNICEF, 2015

chiffres mutilations

 

Des treize pays qui excisent plus de 70% de leur population féminine, sept sont presque uniquement musulmans, l’Egypte, le Mali, la Somalie, le Soudan du Nord, Djibouti, la Gambie et la Mauritanie. Seule exception « nationale »: au Niger, 55% des femmes mutilées sont chrétiennes contre 2% musulmanes. Mais le taux de prévalence national est de 2%.

Les sept autres grands exciseurs sont pluri-religieux: l’Éthiopie (100 millions d’habitants) comprend une majorité orthodoxe et protestante, mais les régions musulmanes (34%) excisent davantage. En fait, si l’on comprend la Malaisie et l’Indonésie, le problème des MGF concerne près de 500 millions de disciples d’Allah. Et s’ils doutent de ce chiffre, qu’ils tentent de savoir (comme je l’ai fait) de quel horizon religieux sont les diverses grandes ethnies que citent les études. Car les chercheurs ne vous le disent pas.

Cette prédominance musulmane est confirmée par la composition de l’Organisation de la conférence islamique (OCI): parmi les 35 pays qui excisent, 32 font partie de ce puissant et unique lobby religieux de l’ONU (Irak, Indonésie et Malaisie inclus). L’OCI vote volontiers les résolutions condamnant cette pratique, mais se garde bien d’entreprendre la moindre action. Même cas de figure avec l’université d’Al-Azhar.

Le piège des arguments médicaux

L’ONU s’est fait piéger par son argumentation contre les MGF. Durant des années, elle a insisté sur les conséquences physiques des mutilations (hémorragies, infections, mortalité de l’enfant, stérilité, etc.). Il aurait été trop délicat de parler de volonté de contrôle de la sexualité des femmes et de l’influence islamique. Le rôle de l’islam est d’ailleurs encore un grand tabou.

Conséquence: depuis le début des années 2000, les blouses blanches remplacent de plus en plus souvent les exciseuses et leur rasoir. Pour les enfants comme pour les parents, ces actes sont moins douloureux et ils suppriment en bonne partie la menace de complications.

Ils représentent aussi une source de revenus intéressante pour les praticiens et les cliniques.

La médicalisation des MGF a nettement augmenté en Égypte, au Kenya, en Guinée, au Nigeria et au Sud-Soudan pour ce qui concerne le continent africain. Elle est aussi avérée au Yémen et en Indonésie. Dans ces pays, entre 30 % et 80 % des femmes excisées l’ont été par des professionnels de santé (Unicef 2013, 2015), surtout parmi les jeunes générations. Dans certains pays, comme l’Égypte ou la Malaisie, ce nouveau cadre a été considéré par les gouvernements et certaines associations comme une solution acceptable.

Grâce notamment à la mobilisation de la Fédération internationale des gynécologues obstétriciens (Figo), la médicalisation a peu à peu été interdite officiellement dans la plupart des pays, à l’exception de l’Indonésie et la Malaisie. Mais entre loi et pratique, il existe souvent un abîme.

La fin du fléau était prévue pour 2010 par l’UNICEF. Elle l’est maintenant pour 2030, dans le cadre des objectifs de développement durable de l’ONU. Une échéance tout aussi illusoire.

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