Le marché halal mondialisé au service de l’intégrisme

Un livre magistral sur un sujet peu connu donne des frissons: la rencontre du marché halal et de l’intégrisme. Ce domaine très lucratif pousse marchands «laïques» et organisations internationales à des compromissions croissantes.

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Si vous avez le blues à propos de l’islam, ne lisez surtout pas l’ouvrage de Florence Bergeaud-Blackler «Le marché halal, naissance d’une tradition». Il révèle comment ce label est devenu un fer de lance de l’expansion islamique. Ou si l’on veut une arme de destruction douce de nos démocraties laïques.

Notons en préalable que l’auteure aimerait bien ne pas donner de grain à moudre aux «populistes» et à «l’extrême droite». Manque de chance, c’est par grands sacs qu’elle leur en livre. Et chaque grain, chaque page recèle une mine d’informations passionnantes.

L’avènement du halal

Une frange croissante de musulmans désire pratiquer le «vrai islam» sous toutes ses facettes. La religion est devenue «un grand livre de recettes»… que des musulmans acceptent avec enthousiasme même si elles sont imaginaires, pourvu qu’elles assurent leur salut et diffusent la religion sublime.

J’ai consacré quelques pages du «Radicalisme dans les mosquées suisses» à cette frange de pieux musulmans qui ressent une soif quasi inextinguible de rites. Ce livre montre que le sujet est à la fois plus vaste et bien plus inquiétant.

Halal veut dire «licite». Dans les textes, rien n’explicite de manière détaillée ce qu’il signifie pour la viande, les techniques varient d’une école à l’autre. Seul l’interdit du porc a toujours été respecté. Jusqu’au début des années 80, les pays musulmans importateurs de viande de l’Occident chrétien sont indifférents au mode d’abattage pratiqué. Dans la diaspora, l’abattage rituel est réservé aux cérémonies et aux fêtes et ne comprend pas de normes précises. Les musulmans se réfèrent volontiers à un verset qui dit: «Vous est permise la nourriture des Gens du Livre, et votre nourriture leur est permise.»

Le changement survient avec la révolution iranienne. Le régime khomeyniste exige un contrôle musulman sur les chaînes industrielles des pays occidentaux. L’abattage halal sera «réduit à un code –ce que les exégètes avaient évité de faire pendant 14 siècles-…» C’est la rencontre du marché néolibéral avec le fondamentalisme islamique.

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Les marchands des pays sécularisés, l’UE, les organisations internationales et les autorités locales acceptent cette irruption du religieux dans des législations séculières dans lesquelles ils font moult références à la «loi islamique». Aujourd’hui, des recommandations du ministère de l’agriculture français «vont jusqu’à détailler très précisément, photos et schémas à l’appui, le geste d’égorgement rituel des animaux.» Ces dérogations confirment l’idée d’un comportement que tout musulman doit suivre et appuient les promoteurs de l’intégrisme.

L’État se comporte en mufti…

L’autorité octroie donc au religieux un espace hors de la norme commune, qu’il ne précise pas et que la religion peut habiter en toute liberté. «L’État se comporte en mufti, il ne respecte pas son propre droit et empiète sur la «zone sacrée» qu’il s’interdit juridiquement de définir.» Accessoirement, réserver certaines fonctions (abattage, contrôle, etc.) aux seuls adeptes d’une religion représente une discrimination qui contrevient au code du travail. Mais qui s’en soucie?

C’est que les protagonistes se bousculent pour profiter d’un business hautement lucratif. Wal-Mart, Carrefour, Nestlé, des entreprises de fast-food prennent le tournant. Elles se plient à des exigences de plus en plus rigoristes. Depuis la première contrainte iranienne, les musulmans ont multiplié les codes, les normes, les contrôles. Les organes de certification ont proliféré, avec chacun ses critères. Dans le monde musulman, Turquie, Malaisie, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis se disputent le leadership du marché. Les lobbies adeptes d’un islam littéraliste et sécessionniste connaissent un succès croissant.

L’avenir est radieux: l’économie mondialisée du halal se marie harmonieusement avec l’idéologie de la Oumma, les musulmans ont les mêmes devoirs dans toute la sphère d’Allah.

Côté consommateurs, la foule des musulmans qui rêve de vivre selon la charia s’engouffre avec enthousiasme dans «l’halalitude» et ce ne sont pas ceux de la première génération: «Je m’attendais à voir les jeunes issus de l’immigration se désintéresser des règles coutumières de leurs parents, notamment dans le domaine alimentaire. J’observais le contraire: un attrait massif des jeunes pour les produits étiquetés comme islamiques.»

Les contrôleurs des produits et du comportement des croyants puisent dans le puits sans fond des versets et hadiths pour promouvoir «la consommation islamique». Les amateurs y voient une garantie de pureté, et la viande est censée posséder des qualités gustatives, nutritives, et sanitaires supérieures. Ils affirment aussi que l’abattage rituel fait moins souffrir l’animal contrairement à l’avis de nombreux organismes animaliers et vétérinaires. Et dans ce cadre, les musulmans imaginent volontiers que la planète entière se laissera séduire par ces produits infiniment supérieurs, comme l’est cette religion tout entière.

Question adhésion à ce discours, OMS et ONU ne sont pas en reste. Des déclarations insensées attribuent au halal «un élément profondément éthique et spirituel» et la faculté d’être «un formidable outil d’éradication de la pauvreté».

Aujourd’hui, deux modèles coexistent. Pour le modèle «inclusif», les produits peuvent être fabriqués par des non-musulmans s’ils respectent certaines normes et certifications. Pour l’autre, que l’auteure appelle le modèle «ummique», encore minoritaire mais bénéficiant de promoteurs hyperactifs, la production tout entière doit être entre des mains musulmanes.

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Où l’on retrouve des acteurs connus du radicalisme

On croise dans cette dynamique des acteurs connus du fondamentalisme. La Ligue islamique mondiale joue depuis longtemps «un rôle aussi important que discret dans la normalisation et l’extension du marché». L’OCI a organisé son premier congrès halal en 2012. Le Conseil européen des fatwas et de la recherche et son président  Youssef Al Qaradawi sont aussi de la partie. Le site Al Kanz de Fateh Kimouche, «un salafiste néolibéral hyperrétrograde au niveau des mœurs» joue en France un rôle capital de contrôleur et de dénonciateur.

De nombreux autres islamistes jouent la même partition: Hani Ramadan, Nabil Ennasri, Rachid Abou Houdeyfa, Nader Abou Anas, etc. etc. Tariq Ramadan de son côté influence l’Union française des consommateurs musulmans (UFCM). Il emprunte sa rhétorique à l’altermondialisme pour critiquer le «libéralisme sans âme», exploiteur et injuste de l’Occident et l’oppose aux principes islamiques tout empreints d’éthique et d’écologie.

Les Frères musulmans pour l’ingénierie et l’Arabie saoudite –salafiste- pour le financement s’activent à l’unisson. Quelles différences entre les deux idéologies selon l’auteure? Les salafistes se réunissent en petites communautés et veulent imiter Mahomet et ses compagnons ici et maintenant, notamment sur le plan des mœurs. Ils n’ont aucun problème avec la société de consommation.  «Le salafiste saoudien nettoie ses dents avec un bâtonnet de siwak à la manière du prophète, ce n’est pas pour cela qu’il renonce à conduire sa Maserati, à porter une Rolex, ni à faire sa prière sur des tapis de soie fine fabriqués par des enfants.»

Les Frères, eux, «reposent leur stratégie sur le temps long, la patience, l’entrisme politique, économique, l’opportunité et le calcul». Tous deux favorisent in fine la création d’une société islamique.

Un label applicable à presque tout

Un marché juteux doublé d’une spectaculaire progression de la pratique rigoriste, que demander de plus ? …La «halalisation» de l’ensemble des comportements du consommateur musulman! Elle est, elle aussi, bien avancée.

Cosmétiques, produits pharmaceutiques, mode, tourisme, voyages, arts, sport, éducation, écoles, etc. La gamme des produits et services labellisables est illimitée. Elle vise à gouverner, conformément à la  doxa, toute la vie des croyants. En France durant le ramadan, les supermarchés organisent des espaces réservés au halal et répondent aux souhaits de ses clients. «La grande distribution tente de se montrer irréprochable et de plaire aux plus stricts.»

Les Émirats arabes unis ont déposé en 2015 à l’ISO une demande de comité technique international qui formaliserait une série de standards «halal» applicables à de multiples produits. Cette première revendication a été refusée par une petite majorité de pays.

Certains francs-tireurs se lamentent sur ce cirque divin, comme Ghaleb Bencheikh: «… tout cela relève d’une normativité excessive qui obère l’élévation spirituelle et la pratique, et c’est venu avec force avec les affaires vestimentaires (…) Il faut des voix fortes musulmanes pour dire: il faut qu’on vive naturellement et normalement.» Selon Florence Bergeaud, on en est loin: «Aucune autorité religieuses islamique en France ne se risque à prétendre aujourd’hui que manger des produits halal n’est pas une obligation, ni que la méthode d’abattage islamique tolère l’étourdissement… »

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Le marché français est le plus convoité d’Europe. La grande majorité des musulmans, pratiquants ou non, consomment déjà des produits halal. Et plus les contraintes sont nombreuses, plus ces produits sont réputés islamiques.

Le marché ummique, dont la Turquie est un actif propagateur, s’affirme strictement conforme à la charia et il devient possible d’être presque intégralement fidèle à cette loi dans l’accommodant Occident.

Les écoles, les prisons, les entreprises subissent des pressions croissantes pour que leur clientèle musulmane puisse consommer et se comporter selon leurs convictions. Quelque 80% des musulmans de France estiment par exemple qu’il serait normal que les écoliers soient nourris halal à la cantine.

De nombreux étudiants, dont beaucoup de femmes, se forment à l’économie et créent un vivier d’entrepreneurs islamique. Les entreprises salafistes respectent néanmoins la séparation des sexes et «l’invisibilité relative des femmes dans l’espace public».

L’obsession du  licite suscite l’anxiété

Consommer des produits islamiques, c’est assurer son salut dans l’au-delà. La peur de s’écarter des volontés divines est donc omniprésente. Mais le label halal devient aussi une autre manière de se couper des autres qui s’ajoute aux voiles, prières, ségrégation des sexes, interdiction de l’alcool, etc.

«Avec le passage du halal-licite au halal-pureté, qui met l’accent sur la contamination, l’anxiété augmente, les individus doivent sans cesse faire preuve, à l’égard d’eux-mêmes ou de leur communauté, de leur islamité. » La recherche obsessionnelle d’une nourriture «licite» entraîne l’évitement de certains lieux et de certaines fréquentations. On décline les invitations à manger de non-musulmans, on évite les goûters partagés à l’école, on esquive les situations «à risque». Et on refusera probablement de plus en plus de vendre ou de transporter des produits illicites.

Les acteurs du marché pratiquent ainsi ce qu’ils appellent eux-mêmes le «jihad économique» qui combat «le capitalisme sauvage». L’Occident est une fois de plus l’ennemi à abattre.

La plupart des articles de ce blog paraissent sur dreuz info.