«J’exige de mourir… et vite !»

Les candidats au suicide sont de plus en plus nombreux à s’inscrire au dernier moment à Exit et à exiger qu’on les aide à passer de vie à trépas sans délai. Le verbe fort et le ton agressif.

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Exit, l’association romande d’aide au suicide, fait face à un étrange défi. De nombreux patients s’inscrivent auprès d’elle au dernier moment et réclament une aide expéditive. La doctoresse Daphné Berner, médecin et accompagnatrice, décédée depuis ces lignes, s’en est ému à plusieurs reprises. «…ma marotte à moi, mon inquiétude s’agissant d’EXIT, c’est l’impatience grandissante de chacun, et l’agressivité qu’elle engendre parfois»(…) «…certaines personnes nous harcèlent littéralement. Elles sont membres depuis un jour ou deux à peine et exigent que nous les aidions dans la journée.» Certaines ne sont même pas inscrites à l’association.

A l’heure où l’athéisme ou au mieux l’agnosticisme ont remplacé la terreur de l’enfer, la mort ne doit pas attendre. Daphné Berner: «Quand on la veut, elle doit être là, dans un verre à portée de main ou dans une perfusion, on la veut ce soir-même ou demain au plus tard. On a décidé de mourir, on appelle EXIT et cela doit aller vite, vite…»

Le secrétariat est au front, avec des personnes qui «réclament avec véhémence qu’il brûle toutes les étapes pour elles». La cotisation ordinaire est de 40 francs par année et le processus gratuit. Pour les membres n’ayant pas cotisé durant un an, une participation de 350 francs est demandée avant l’étude du dossier. Ce sont les «demandes urgentes».

Elles ont payé et se comportent comme des consommateurs intransigeants : «J’ai déposé les 350 francs exigés (….) alors maintenant, faites vite… » Parfois, un dossier arrive par courriel un matin et la personne s’énerve tout l’après-midi au téléphone pour savoir si EXIT mettra rapidement en œuvre sa dernière volonté. Une personne a même hurlé: «Alors comme ça, vous allez me laisser crever!»

En 2020, environ un tiers des demandes ont été des «demandes urgentes ».

Les conditions

L’article 115 de notre Code pénal dispose que seul «celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura prêté assistance en vue du suicide, sera puni». Le membre qui souhaite une auto délivrance doit fournir un rapport médical décrivant son état de santé et sa capacité de discernement et recopier une lettre manuscrite.

Chaque demande est étudiée par l’un-e des trois médecins-conseils de l’association qui vérifie que la personne remplit les critères. Appelés après un suicide assisté, le médecin légiste et la police exigeront une attestation médicale.

Le secrétariat doit trouver le ou la bénévole prêt à accompagner l’impatient. L’accompagnant(e) ira discuter avec le malade et ses proches et devra obtenir d’un praticien l’ordonnance de pentobarbital. Le concours du «médecin de référence ou de famille» facilite grandement les choses.

Exit manque de ces médecins prescripteurs, bien qu’une majorité de médecins soit favorable au suicide assisté. C’est qu’il prend des risques : il peut se retrouver devant un juge.

Daphné Berner est passée par là: elle avait aidé à mourir une personne dont le mal s’était aggravé: paralysée, elle ne pouvait plus prendre elle-même la potion létale. La doctoresse a enclenché un goutte-à-goutte…et s’est retrouvée au tribunal. Relaxée après un long processus. Plus récemment, deux hommes ont poursuivi Exit en justice pour empêcher leur frère de s’éteindre avec elle. La justice a ordonné de suspendre l’action, le patient s’est pendu.

Augmenter les situations d’accompagnement

Un inspecteur de la Brigade Criminelle qui arrive après un suicide confieà Pierre Beck: «Pour nous, EXIT c’est du gâteau à côté de tous ces autres suicides, je ne vous fais pas un dessin…»

En Suisse, la population est très majoritairement en faveur du suicide assisté. Exit tente d’élargir les possibilités d’un accompagnement par rapport à la maladie d’Alzheimer. Actuellement, ces malades doivent comme les autres disposer de leur capacité de discernement. Elles l’ont souvent au début de la maladie. Une accompagnatrice -traumatisée par son vécu avec sa grand-mère- raconte que par trois fois, elle n’a pu intervenir: entre le moment où la personne avait demandé l’aide et celui elle devait décider de la date, sa mémoire s’était trop détériorée.

En Belgique, il est possible de faire une demande anticipée à propos de cette maladie et la pression de la population est grande pour que les patients qui n’en ont pas bénéficient d’une euthanasie lorsque la maladie est à un stade avancé.

Exit tente aussi de faire avancer la possibilité pour des couples dont l’un seulement est gravement atteint, mais dont l’autre ne peut pas imaginer vivre sans son conjoint de les accompagner tous deux. Pierre Beck, médecin et membre du comité d’Exit s’est retrouvé au Tribunal fédéral pour avoir assisté un de ces couple, dont l’un des membres, quoique âgé, ne souffrait pas de maladies insupportable ou fatale. C’était en 2017 et le feuilleton n’est pas fini: le TF a récemment annulé la condamnation, mais a renvoyé la cause à la justice genevoise qui devra la rejuger sous l’angle de la loi sur les stupéfiants (le pentobarbital figure sur la liste de ces produits).

En 2020, l’association a aidé 369 membres à mourir.

La loi suisse est régulièrement remise en question, mais les débats montrent que tenter de la préciser crée plus de problèmes que de solutions.

Cette année, Exit fête ses 40 ans. L’association fait le bilan de ce combat dans un bulletin spécial.