Retour sur le combat inouï des Iraniennes
Face à l’islam obscurantiste et barbare, les héroïnes des manifestations de 2022 témoignent d’un courage et d’une lucidité sans égal. Mona Jafarian en a interviewé une douzaine.

Une lecture de rage, de colère… et parfois de larmes amères. Le témoignage d’une douzaine d’Iraniennes montre que nous n’avons pas vraiment compris le sens des euphoriques et douloureuses manifestations de 2022-2023. Le voile nous a quelque peu aveuglés. Nous avons pris un symbole pour l’origine d’une révolte. Mona Jafarian éclaire par des récits saisissants et tragiques la réalité unique de la population iranienne dans la sphère musulmane.
«La mort de Mahsa nous a tous rendus fous. C’était l’assassinat de trop.
Ils ont réveillé toutes nos douleurs enfouies.»
L’assassinat de Masha Amini est le geyser qui a fait jaillir l’immense révolte du mouvement «Femme, Vie, Liberté». Mona Jafarian a alors co-fondé l’association Femme Azadi (liberté).
Phénomène unique : ce sont les femmes qui ont été les initiatrices de cette tentative révolutionnaire. Elles sont éduquées, informées, extraordinairement courageuses. Les hommes les ont rejointes dans la rue pour un combat qu’ils partagent pleinement.
«Femme vie, liberté. Homme. Patrie, prospérité ! Gloire à l’Iran !»
Liberté, démocratie, laïcité, c’est le rêve de ces femmes au regard fixé sur l’Occident, dont Israël fait partie. Elles sont d’ailleurs pro-israéliennes. Mais à l’image du combat pour la démocratie à Hong-Kong qui les a laissés de marbre, les Occidentaux par dizaines, voire centaines de milliers regardent ailleurs, vers la bien-aimée Palestine qui elle ne réclame ni laïcité, ni même démocratie. Et qui pratique un islam auquel personne ne s’intéresse. En fait, l’inspiratrice de ces mouvements, bien davantage que la Palestine et ses détresses, est la haine d’Israël.
Et en ce moment, l’espoir s’effondre d’un Trump allié à Israël qui déciderait d’attaquer enfin ce régime qui finance le terrorisme et le chaos dans tout le Moyen-Orient. Au lieu de tomber, ce pouvoir maléfique risque, hélas pour les Iraniens, de sortir renforcé de ces négociations.

Nous avons oublié, j’avoue que c’était mon cas, que la population iranienne avait déjà manifesté contre l’islam et sa république. Depuis 2009 entre autres, où un soulèvement avait été réprimé dans le sang. La génération qui précède les combattantes de 2022 était donc prête à soutenir les rebelles lorsque l’Iran a pris feu. Elle les a approuvés, aidés, mais – plusieurs de ces témoins le leur reprochent – n’est pas descendue dans les rues.
Aucune autre nation musulmane ne déteste autant l’islam et sa république. En Occident, ce que ces femmes décrivent les conduirait tout droit au tribunal de l’islamophobie. Et l’on constate que question rites et dogmes, chiites et sunnites sont en parfaite harmonie.
Ce qu’elles disent de l’islam
Azadeh a 23 ans, est coiffeuse et habite Ispahan. «Comme j’ai pu rêver toute mon enfance d’être un garçon pour jouir de la même liberté qu’eux! Vous ne savez pas encore lire qu’ils vous collent déjà un voile sur la tête pour s’assurer que vous compreniez bien le statut qui sera le vôtre dans leur système.
… Sommes-nous donc des animaux pour devoir subir tant d’interdits ? Faire du vélo, chanter, aller courir le matin, montrer ses cheveux, danser, voyager seule, tout, absolument tout est interdit à la femme dans le monde des croyants. Ces gens-là sont excités par tout ce qui émane du corps féminin, ses cheveux, le son de sa voix, son regard, son apparence. Peut-être serait-il temps pour eux de se faire soigner ?

… ils sont obsédés par la longueur de ton manteau et par trois pauvres mèches de cheveux qui pourraient dépasser d’un voile. Nous sommes une majorité à subir leur loi, leur code de la vertu et de la pudeur, leurs conneries de haram sur tout ce qui concerne les femmes.»
Ghazal, 28 ans, vit à Téhéran. Elle est tatoueuse, ce qui n’est pas vu d’un bon œil, et chanteuse, ce qui est interdit. «Vous devez bien rire chez vous de les voir faire une telle fixette sur des cheveux, comme si les hommes en étaient dépourvus.… Ou rien qu’à imaginer que le simple fait de chanter puisse mener quelqu’un en prison. Ce sont les joies de l’islam qui a décrété il y a 1400 ans que tout ce qui fait une femme doit être caché ou combattu. Pour éviter d’exciter les mecs.(…) en quoi c’est leur problème ce qu’on fait de notre vie et de notre corps ?(…) Ces tarés disent même à la télévision qu’une femme qui ne porte pas le voile est impure et que si elle se fait agresser ou violer, elle l’aura cherché (…) Leur raisonnement est tellement tordu, c’est du domaine psychiatrique…
Les mecs se croient encore à l’époque du Prophète. Ils coupent des mains, crèvent des yeux, pendent des gens, fouettent des hommes et des femmes. Chaque châtiment a son verset. Mais sérieusement, quand vont-ils évoluer ? (…) Ces gens sont de purs malades.
Quand on aura libéré l’Iran (…) On ne les laissera plus décider pour la société ce qui est halal ou haram. Fini toutes ces conneries.»
Sepideh, née dans un quartier aisé de Téhéran, a décidé après sa participation aux émeutes, de s’exiler au Canada. Elle rêve de pouvoir suivre des cours de chant et de théâtre.
«… je n’ai plus la force de rester et de voir leurs sales tronches en uniforme dans les rues, à la télé, partout. Qu’est-ce que j’en ai à foutre, moi, de leurs histoires de religion ? Ces gens sont complètement fous. Ils veulent que nous vivions comme en l’an 600, mais on est en 2024. Jusqu’à quand va-t-on devoir vivre comme à l’âge de pierre parce qu’ils craignent d’aller en enfer ?(…) La majorité d’entre nous n’en a que faire de leurs histoires de haram et de halal. Qu’ils vivent leur religion sans pourrir tout un peuple ! (…) Je rêve du jour où ce pays sera prospère, libre, démocratique, un pays où les croyants, s’il en reste d’ici là, seront dans leur mosquée, loin de nos regards.
… qui a envie de faire des enfants dans ce pays, imagine donner naissance à une fille et être obligée de la voir grandir ici ? Tu sais déjà que tu la condamne à porter le voile dès l’enfance à l’école, à écouter leurs conneries coraniques du matin au soir partout, à les laisser la traiter comme du bétail.
Dans la plupart de nos familles, il reste un vieil oncle ou une grand-mère pour croire encore à ces conneries, mais la majorité d’entre nous n’en a que faire de leurs histoires de haram et de hallal.
Je fais beaucoup de sport. J’aimerais juste me lever le matin, pouvoir enfiler un short et sortir courir sans risquer ma vie et sans remplir mes poumons de l’air pollué de Téhéran. Je rêve d’avoir un petit ami dont je pourrais tenir la main dans la rue sans crainte.»
Elham est homosexuelle dans un pays où les gays risquent la mort. Son père est opposé au régime. «Pour lui, les mollahs salissent sa religion. Pour moi, ils ne font que l’appliquer à la lettre !
J’ai commencé à suivre des influenceuses lesbiennes et je rêvais de la liberté qu’elles avaient en Occident (…) Mon orientation sexuelle ne tue pas, ne viole pas, n’impose pas, ne châtie pas, n’interdit pas. La religion, si. J’ai commencé à développer une véritable haine de toutes ces croyances archaïques.»
Rue des Barbares
Parissa a 33 ans. Elle est de Karaj. Elle s’est toujours rebellée, notamment contre le mariage forcé que voulait lui imposer son père à 14 ans (la limite est à 13). Celui-ci est membre du corps des Gardiens de la révolution.
Elle a participé aux manifestations dès leur début. «… la barbarie dont ils faisaient preuve est indescriptible. Ils s’acharnaient à plusieurs sur une personne à terre, à coups de matraque, de batte de base-ball, de crosse de fusil, jusqu’à ce qu’ils soient fatigués de cogner. Ils tiraient à balles réelles …»
D’autres, habillés en civil, avaient juste pour ordre de tirer et de tuer… «Les réseaux sociaux nous aidaient à tenir, malgré l’horreur de la répression. Voir que nous n’étions pas seuls, que partout dans le pays, les Iraniens étaient dans la rue et que toute la diaspora était mobilisée pour manifester (…) nous donnait la force de sortir chaque soir.
Nous avons un objectif, récupérer notre pays. Je rêve de voir la paix et l’apaisement, pas seulement en Iran, mais dans tout le Moyen-Orient. Je rêve de voir à nouveau notre pays s’ouvrir sur le monde.»
Mina. «Dans ce pays, ils peuvent voler, violer, torturer, pendre ou tuer de toutes les manières. Mais tant que vous priez leur Dieu, alors tout va bien et tout est permis (…) Ils ont le culot de se demander pourquoi ma génération maudit la religion…
Ce régime un jour vous tue pour un hidjab mal porté ou pas porté.(…) Un autre jour, pend des jeunes pour avoir mis une poubelle au milieu de la route durant une manifestation…. Savez-vous combien de jeunes sont morts sous la torture ?»
Mona Jafarian le rappelle: «L’Iran rencontre le plus grand nombre d’exécutions d’hommes, de femmes et d’enfants au monde. La mort est donnée par pendaison, souvent à une grue. L’agonie est terrible.»
«Si vous saviez le nombre de mères endeuillées que je suis sur les réseaux sociaux ! Leurs pleurs, leurs cris et la douleur qu’elles ressentent me hanteront toute ma vie.»
Azadeh, la coiffeuse, s’est jointe aux manifestantes sans hésiter. «Moi qui craignais même de sortir en ne mettant pas correctement mon voile, voilà que je hurlais dans la rue «Mort à Khamenei !». Ou encore «Tant que tous les mollahs ne seront pas dans des linceuls, ce pays ne redeviendra pas un pays.»

Quel sentiment d’euphorie et de liberté que de pouvoir crier sa rage. Nous allumions des feux pour y jeter nos hidjabs en criant «Femmes, Vie, Liberté». Les hommes applaudissaient, nous encourageaient et criaient «Gloire aux femmes, lionnes d’Iran». Quand nous marchions dans la rue, cheveux au vent, les voitures klaxonnaient en signe de soutien. Les motards applaudissaient, les piétons que nous croisions faisaient le V de la victoire. (…) Quel sentiment de liberté! Quel bonheur!»
Mais la répression arrive, impitoyable. «J’ai vu tant de scènes horribles dans la rue. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait. Une seule de leurs douilles te balançait des centaines de plombs partout dans le corps. Ils mutilaient les jeunes…, bloquaient les accès aux hôpitaux pour s’assurer que les blessés se vident de leur sang. Si tu avais le malheur de trébucher au sol dans ta fuite, ils n’hésitaient pas à te rouler dessus à moto, à te tomber dessus à plusieurs. Et à te battre avec leurs matraques jusqu’à ce que tu ne respires plus.
J’ai vu des gens perdre un œil, d’autres à qui il manquait un bout de mâchoire. Certains avaient les vêtements dégoulinants de sang. Mais nous avons continué à manifester. Malgré tout, notre rage était plus grande que la peur.»
Mahnaz, 19 ans, de Téhéran. «J’ai vu du sang, des cris, des blessures par balle, des jeunes inconscients et même un cadavre. Khamenei avait lancé une véritable boucherie. Au fil des semaines, nous étions de moins en moins nombreux à manifester.»
Un soir, son groupe a été arrêté par des policiers et des femmes au service du régime. L’une a attrapé ses cheveux et a tiré sa tête vers le sol. «La douleur a été si intense que j’ai eu l’impression que la peau de mon crâne se détachait.» Les hommes ont jeté au sol son compagnon et l’ont roué de coups de matraque.
Au commissariat, elle a essuyé de nombreux coups, mais pas seulement. «Un homme au regard haineux s’est approché de moi et m’a dit : «Alors, C’est toi la pute qui veut se faire sauter par des petits jeunes»? Il m’a attrapé un sein et l’a pressé de toutes ses forces. Il a mis sa matraque au niveau de mon entrejambe. J’ai tenté de fermer les cuisses. Mais il a frappé de toutes ses forces.(…) Ils m’ont souillée, ils m’ont salie, ils ont fait en sorte que jusqu’à la fin de ma vie, je ne puisse plus jamais avoir de contact avec un homme…. Je suis condamné au silence et à vivre avec toute l’horreur de cette nuit et de ma putain de vie dans ce pays de merde… J’en veux à la terre entière de ne pas nous soutenir…»
Plusieurs jeunes de son quartier sont dans le couloir de la mort pour avoir manifesté.
Les manifestants ont résisté plusieurs semaines en espérant que la majorité silencieuse les rejoignent. En vain.
Le pays est exsangue, les Iraniennes sont bien formées, mais ne trouvent pas de travail. L’obsession des Gardiens de la révolution islamique, qui s’attribue une bonne partie des richesses du pays, c’est de répandre leur idéologie et d’armer tous les groupes terroristes de la région.
Résistance toujours
Aujourd’hui, les Iraniens désertent les mosquées (50’000 sur 75’000 sont fermées), n’assistent plus aux cérémonies du régime, boycottent les urnes, mangent et boivent dans les rues durant le ramadan. Le régime réagit peu, conscient qu’une étincelle pourrait à nouveau mettre le feu et le menacer. Les Iraniennes résistent de multiples manières à ces règles qui les enserrent. Elles créent par exemple des vêtements design, à la mode, des voiles colorés laissant apparaître leurs cheveux, des «manteaux»(vêtement islamique classique) aux coupes originales et aux tissus travaillés. «Tu as des créateurs de mode si talentueux ! Le jour où ce pays sera libre, personne ne pourra rivaliser avec nous!»
Le peuple considère que l’islam et sa république occupent le pays. Les résistants se tournent en masse vers la culture ancestrale et prestigieuses de l’empire Perse. Ils renouent avec ses traditions, célèbrent ses fêtes, s’inspirent de sa poésie, ses chants, sa danse, sa littérature.
L’Occident aux abonnés absents
Baran, Kurde de 24 ans : «Aux Occidentaux, voici mon message. :… donnez-nous la main. Aidez-nous à nous débarrasser de ce régime. Quand allez-vous comprendre que l’essence même de ce régime est la terreur et le terrorisme ? Il vous mène en bateau. Avec leur programme nucléaire, ils mettent le feu à la Palestine et à Israël pour vous obliger à accepter leurs demandes…»
Parissa: «Donnez-nous la main ! Aidez-nous à nous débarrasser de ce régime criminel qui occupe ce pays depuis 45 ans.»
Mina: «N’en avez-vous pas marre de vous asseoir pour négocier avec des gens qui ne savent que faire couler le sang?»
«Notre sort n’a jamais intéressé personne. Nous sommes un peuple maudit.»
La rue est désormais calme, mais le feu de la révolution brûle toujours dans les cœurs.
Mona Jafarian, Franco-Iranienne, poursuit sans relâche ce combat avec son peuple. Elle vient de publier un nouvel ouvrage «Mon Combat», aux éditions Stock.