Pourquoi mes amies prennent-elles l’air embarrassé quand je critique l’islam?

(Texte d’une Genevoise. Anonyme pour raisons professionnelles.)

Régulièrement, je tente l’expérience. Au cours d’une discussion avec l’une ou l’autre de mes amies genevoises, je pointe les dangers de l’idéologie musulmane. Et souvent, mon interlocutrice a une réaction étonnante: changement immédiat de sujet, mention d’un défaut du christianisme, ou bien silence embarrassé suivi, parfois un peu plus tard dans la conversation, de réflexions sur le racisme, la nécessaire solidarité ou la souffrance des immigrés.

Tout cela me donne l’impression que le danger, c’est moi.

En cherchant une explication rationnelle à ces réactions, et si je me remémore mon propre état d’esprit d’il y a quelques années, je tombe assez vite sur deux phénomènes qui s’entrelacent: la peur et la culpabilité. Et ces émotions sont liées à des sentiments quasi religieux, même chez les athées.

Dans la «liste des peurs explicatives», je ne m’attarderai pas sur la crainte de réactions éventuelles de musulmans irrités par l’expression d’une critique. Ces réactions dont nous parle la presse se jouent loin des confidences entre amies. Et même si elles contribuent à créer un malaise certain qui influence mes interlocutrices, celles-ci n’ont rien à craindre personnellement. Non, les peurs dont je parle sont plus intimes, non formulées, voire refoulées.

La peur de l’ostracisme social

Passons rapidement sur les traits de caractère que sont la tendance à éviter les conflits et la répugnance àTaire.jpg critiquer. La peur du qu’en-dira-t-on est déjà plus intéressante: peur de déplaire, de mettre en danger sa vie sociale, d’être désignée à la vindicte populaire par les «matons de Panurge» (Philippe Muray). Peur d’être vue comme raciste, que les médias romands et surtout français se font un plaisir d’entretenir puisque, comme le dit Alain Finkielkraut, «aujourd’hui (…) le politiquement correct s’articule autour de l’antiracisme». (à p. de 33 :45)

Mais il y a aussi la crainte de s’avouer à soi-même, si on sonde un peu trop longuement son cœur, que certaines choses dans l’islam nous dérangent, à commencer par sa misogynie. Et comme Max Frisch l’a très bien exprimé en 1958 dans sa pièce «Monsieur Bonhomme et les incendiaires», la peur d’avouer qu’on a peur est plus forte que celle qu’on ressent devant le phénomène menaçant.

Personne n’aime avouer sa peur. Nous avons toutes grandi avec l’idée que devenir adulte, c’est ne plus s’inquiéter, ou en tout cas ne plus le dire. Notre éducation, donc, mais également l’industrie du festif nous commandent d’oublier nos soucis. Frédéric Lenoir, chouchou germanopratin des médias romands, s’y met lui aussi, en nous suggérant que si nous changeons notre regard sur le monde nous n’aurons plus d’ennemis. Dans nos consciences, plus de place pour une reconnaissance lucide de ce sentiment inconfortable.

Protège les faibles et les opprimés!

Très forte aussi, parce que liée à la culpabilité, la peur de ne pas obéir à l’injonction judéo-chrétienne de protéger les faibles et les opprimés. Et il se trouve que dans l’inconscient collectif, les musulmans endossent ces rôles. Car ils font majoritairement partie des classes sociales défavorisées. C’est là qu’intervient l’universelle mauvaise conscience du riche vis-à-vis du pauvre, qui s’accorde si bien avec la propension des leaders musulmans à jouer la carte de la victimisation.

Mes amies et moi avons eu, pour la plupart, une éducation chrétienne dont il nous reste des principes plus ou moins vivaces. Si nombre d’entre eux sont louables, certains nous ont marquées d’un sentiment diffus de culpabilité et d’humilité de mauvais aloi :  Tends l’autre joue… Pense aux autres avant de penser à toi… Si tu vois une paille dans l’œil de ton voisin, c’est que tu dois avoir une poutre dans le tien… Si tu n’es pas aimée, c’est que tu l’as mérité…  Et puis, nous sommes coupables d’avoir peur. La peur c’est mal, surtout si elle a pour objet l’Autre. L’hostilité de l’Autre est sûrement causée par ta défiance. S’il sent que tu as peur, il deviendra agressif et ce sera justifié. Donc étouffe ta peur.

Rien d’étonnant à ce que nous hésitions à enfreindre ces principes. Nous briserions des tabous, ce qui ne reste jamais impuni. Prenons deux de ces tabous : le pauvre doit être protégé, l’étranger doit être accueilli. L’islam étant statistiquement dans nos contrées la religion des pauvres et des étrangers, il est par conséquent doublement sacré. On n’y touche pas, on ne le critique pas.

Les deux faces

C’est oublier que toute religion est comme une médaille: face, le recueillement individuel, pile, le projet politique collectif. Or, nombre d’entre nous n’ont pas les outils conceptuels pour appréhender la religion de Mahomet dans ses ambitions politiques. Pour nous, enfants du christianisme contemporain, une religion est naturellement de l’ordre du privé, de la conviction intime. Elle apporte essentiellement consolation, pardon, tolérance, apaisement. Critiquer le désir hégémonique de l’islam nous met devant un dilemme: il nous faudrait refuser du même coup son côté face, seul aspect mis en avant par ses défenseurs. La mère du jeune Toulousain parti mourir pour le jihad en entraînant son frère, en été 2013, ne disait-elle pas que lorsque son fils s’était converti, elle avait tout d’abord été heureuse de le voir devenu structuré et abstinent?

Mais l’islam, tout en voulant être une religion « comme les autres » quand cela arrange ses porte-parole, a quelque chose de plus : nous sommes parfois fascinées par sa force identitaire, par sa détermination. Son activisme sur le terrain de la charité, l’autodiscipline de ses fidèles, la spiritualité affichée, la susceptibilité même des musulmans, tout cela inspire à certaines d’entre nous une naïve déférence. Sentiment que nous ne ressentons plus à l’égard du judaïsme et du christianisme qui ont modelé notre culture. Nous avons perdu confiance en notre société déboussolée et trop individualiste, notamment pour éduquer les enfants et entourer les aînés. Aux yeux de celles qui ont besoin d’un mode d’emploi pour combler le vide, l’islam vient à point.

Envie de croire les gentilles prosélytes

De plus, nous avons toutes des amies ou des connaissances sympathiques «d’origine musulmane», pratiquantes ou non, croyantes ou non. Comment ne pas se sentir fautives d’éprouver une méfiance à l’égard d’un élément qui se prétend être au cœur de leurs vies ? Alors, quand nos foulards meyrinois, Sainte Tiguemounine et Mère Dahlab, pieux sourire et grand cœur, nous expliquent que l’islam veut notre bien à toutes, nous aimerions tant les croire. Quand l’Ariana expose en été 2014 la « céramique islamique », comme si ces magnifiques créations iraniennes, turques, ouzbèques, espagnoles, étaient tout ce qu’il faut retenir des sanglantes conquêtes musulmanes de quatre continents, nous adhérons et admirons. C’est tellement moins angoissant, tellement moins fatigant.

Toutes ces émotions refoulées se renforcent mutuellement en une masse anxiogène qui paralyse la pensée. Mes amies, comme toutes les femmes modernes, n’ont pas le temps de creuser le sujet. Et quand leurs opinions ne se forment pas dans le sillage du prêt-à-penser Hebdo-madaire, le sujet reste pour elles vaguement dangereux. Alors, pendant le maigre temps libre épargné par le travail et la famille, elles s’étourdissent de sorties culturelles inoffensives pour ne pas penser que les forces qui ont construit notre civilisation appartiennent peut-être déjà au passé. C’est tellement plus rassurant.

Florence

Déjà paru dans Les observateurs