Des nuits légères de Téhéran à l’islam intolérant, récit d’une fuite

Nahid*, arrivé il y a quelques années à Saint-Gall, est le réfugié idéal. Le statut lui a été refusé, mais l’espoir demeure.

Il est difficile de trouver plus chaleureux que Nahid. Cet Iranien souriant et communicatif, habitant Saint-Gall, semble même plus intégré qu’un Suisse de souche. Aimé par certains, apprécié par beaucoup, il parle aussi bien le français que l’allemand. Des réfugiés comme lui, on en redemande… sauf qu’il n’est pas réfugié, ce statut lui a été refusé.

Nahid, quand et où es-tu né ?

Christian2.jpegJe suis né à Téhéran en 1991, douze ans après la révolution. Ma famille était pratiquante, mais la religion avait une place modeste. Je suivais des rituels imposés autant par la culture que par la religion, des prières et des prosternations à l’école, le récit d’extraits du Coran. La révolution, mes parents n’étaient ni pour, ni contre… Entendre dire par exemple «les mollahs nous sucent le sang», ça ne les choquait pas.

Et pour toi, quand la critique de l’islam est-elle née ?

J’ai très vite aimé réfléchir par moi-même, choisir des lectures inhabituelles. Je me suis très tôt intéressé à Darwin et j’adorais Dostoïevski. Vers 12 ans, j’ai posé une question à mon professeur: je lui ai fait remarquer qu’entre ce que dit Darwin et ce que dit le Premier Imam -Ali dans l’islam chiite-, il y a quelque chose qui ne colle pas. Il m’a envoyé une gifle et a convoqué mes parents. Je crois que mon rejet de l’islam a commencé là.

As-tu poursuivi l’étude de cette religion ?

Au collège, j’ai complètement changé. J’ai réfléchi, approfondi, je me suis intéressé à l’histoire, à la culture occidentale, aux grands de la littérature comme Dante, ou de la philosophie, comme Nietsche. Je me suis passionné pour les langues, à 12 ans je me débrouillais très bien en anglais. Mais tout cela était en dehors de la religion.

Pas de transgressions?

Si, une partie de ma vie était cachée. J’ai été attiré par le heavy metal, le hard rock, j’ai appartenu à un groupe. J’ai passé de nombreuses soirées avec musique, filles, alcool… A dix-huit ans, j’ai commencé à travailler. Et soudain, le jour fatidique est arrivé: ma convocation au service militaire. Depuis ce jour, fini la belle vie!

Comment s’est passé cette période ?

Ça a été la pire de mon existence! Les garçons, dès l’adolescence, commencent à avoir peur de ça. Tu cohabites avec des gens que tu ne supportes pas, tu fais semblant, tu dois te lever à l’aube aux cris du muezzin, ce que je n’avais jamais fait. J’en ai parfois pleuré, je me suis aussi mis en colère. Le problème, c’est que si tu ne fais pas le service, qui dure deux ans, tu ne peux pas sortir du pays, car tu n’obtiens pas de passeport. Et on te le demande partout… Nous avons passé six mois dans le désert. Pas une femme à l’horizon. Les femmes, c’est une obsession chez les jeunes, mais un sujet tabou.

Et l’islam ?

Sur le plan religieux, j’ai fait des recherches, j’ai lu la Torah, le Talmud, la Bible. J’ai conclu que les religions sont des idéologies absurdes. Cela dit en Iran, les juifs et Israël sont totalement diabolisés. On voit partout des drapeaux d’Israël avec le diable au milieu. Je suis fier d’appartenir à une civilisation née il y a 5000 ans, qui a marqué l’histoire de notre planète. Elle est hélas tombée entre les mains d’un régime fasciste qui se fiche complètement de son passé non-musulman.

Et après l’armée ?

Au collège, j’avais suivi une école de pédagogie. Après le service, je suis devenu prof d’anglais.  Et j’ai commencé à voyager.

Je me suis offert des vacances à l’étranger pour respirer, boire tranquille, voir des filles. Lors d’un de ces voyages, en Bulgarie, j’ai rencontré une jeune femme catholique, Maria. Nous sommes tombés amoureux. Je suis allé la voir là-bas et elle est venue en Iran. Nous nous sommes mariés à Sofia. Lorsque j’ai voulu la faire venir pour vivre avec moi, les Iraniens lui ont refusé le visa. Ma femme a été convoquée à l’ambassade iranienne. Ils savaient tout sur nous. On lui a remis une lettre disant qu’un mollah allait venir la marier selon les coutumes islamiques. Il minimisait: «juste répéter quelques phrases, signer, puis vous obtiendrez la carte d’identité iranienne».

Elle a refusé, on lui a renouvelé le refus de visa et nous sommes restés chacun chez nous. C’est là que mon projet de partir est né. Mon passeport était échu, on refusait de le renouveler. Je me suis débrouillé, j’ai tout laissé d’un jour à l’autre et j’ai rejoint ma femme. Mais dans sa famille non plus, je n’étais pas le bienvenu. Après un périple de quelques mois, nous sommes finalement arrivés en Suisse.

Avez-vous fait une demande d’asile ?

Oui, mais on ne nous a pas crus. Elle a été refusée. Ça a été un moment terrible. En plus, une quinzaine de jours avant le vol de retour, ma femme est tombée malade. On nous accordé un permis provisoire pour motif médical.

Depuis lors, nous avons eu un petit garçon. Nous avons beaucoup d’amis ici, ce qui compense presque l’absence de ma parenté. J’adore ce canton! Et j’ai bon espoir d’être bientôt autorisé à y rester avec ma petite famille.

Nahid a toujours travaillé. Il a exercé diverses activités dans un centre pour requérants d’asile. «J’ai vu des musulmans parmi les plus dangereux qui recevaient l’asile. Parfois, j’avais envie de me taper la tête contre les murs en pensant au futur de la Suisse. J’ai rencontré des personnes qui étaient là depuis des décennies, à l’aide sociale, qui ne faisaient pas le moindre effort pour s’intégrer et d’autres qui ne parlaient pas un mot de français après 20 ans passés ici. Ça m’attriste pour ce pays.»

Nahid a aujourd’hui suivi une nouvelle formation et s’apprête à changer d’activité. Il attend avec confiance le sésame qui lui permettra de rester en Suisse.

 

* Pseudonyme