Crédules, égoïstes, inhumains: Thomson sonde les djihadistes

Ce livre a valu à son auteur le prix Albert-Londres en 2017. Thomson  tente de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un djihadiste. Atterrant et instructif.

Une recension de Sophie.

«Les revenants» de David Thomson est un ouvrage passionnant. Je l’ai lu récemment, il n’a pas Thomson.jpgpris une ride. L’auteur, journaliste, a interviewé des djihadistes hommes et femmes pendant plusieurs années. J’en suis ressortie atterrée, mais plus instruite.

 D’abord, nombre de ces djihadistes sont d’une crédulité ahurissante. L’un d’entre eux raconte: «C’est comme le Prophète, quand il parlait avec un compagnon avant la bataille. Ça c’est des hadits authentiques, le compagnon lui a dit: «Oui mais si je vais à la bataille là, je vais au paradis?» Il a dit «Oui tu vas au paradis». Il avait trois dattes dans les mains, il a jeté ses trois dattes, il a foncé sur l’ennemi, jusqu’à la mort

 Et il y croit, tout simplement, tout comme ce compagnon du «prophète» l’a cru.

Et il n’est de loin pas le seul à avaler ça. Le «paradis» et ses 72 vierges semblent bien être une motivation importante pour beaucoup d’entre eux. Il ne leur vient apparemment pas à l’idée de se demander si on pourrait leur avoir menti. Surprenant, ahurissant même.

Ensuite, l’égoïsme est bouleversant: tel couple de parents d’origine maghrébine, médecins libéraux en France, musulmans pratiquants, vivant une vie confortable dans une maison cossue, voient leur fils partir pour la Syrie. Quelle est leur réaction? Se disent-ils «Qu’avons-nous raté dans son éducation pour qu’il pense aller au paradis en tuant autrui?»  Rien de tout cela: la mère est bouleversée, car elle a peur de perdre son fils et pense ne pas pouvoir vivre sans lui. Son fils est parti tuer les fils et les filles d’autrui, mais la douleur d’autres parents ne l’effleure pas, elle ne pense qu’à sa propre douleur d’avoir perdu son fils.

Ce n’est pourtant pas une femme sans éducation, rappelez-vous qu’elle est médecin. Elle ne pense donc plus qu’à une chose: ramener son fils, sans penser une seconde au risque que son fils pourrait faire courir aux autres. Elle n’a pas dû bien comprendre le  «d’abord ne pas nuire» d’Hippocrate. Et toute la famille, père, mère et les trois filles partent en Syrie chercher le fils prodigue. On apprend par la même occasion que pour entrer, ils se sont fait faire de fausses cartes d’identité syriennes. Et on se demande évidemment combien à l’inverse de faux Syriens sont entrés en Europe avec ces faux papiers si faciles à obtenir.

Servies par des esclaves

En Syrie, la mère et les trois filles sont d’abord logées dans une maison pour femmes où des esclaves font le ménage. Ça n’a pas l’air de la troubler. Elle le raconte tout simplement, car le seul problème de cette femme est de retrouver son fils et d’éviter le mariage à ses filles. Puis la famille obtient un appartement, où elle regarde la télé française, mais ne parle surtout pas des doutes qui devraient normalement la tarauder sur ce que leur religion a engendré. Finalement, la famille réussit à revenir en France saine et sauve avec le fameux fils. Qui est libre avec un bracelet électronique, fait des études, va voir un psy pour la «déradicalisation» et pratique toujours l’islam «pour faire plaisir aux parents» qui semblent donc absolument et irrémédiablement imperméables à toute remise en question.

Une autre mère a fait revenir sa fille enceinte en lui disant que si elle accouchait en Syrie, cette future grand-mère serait «privée» de son futur petit fils ou petite fille: moi et moi et moi et toujours moi.

D’ailleurs, si la fille est revenue c’est aussi qu’elle avait peur d’accoucher sans péridurale. Elle n’a pas peur des voir des gens décapités, ce qui semble très fréquent là-bas, mais elle a peur d’accoucher sans péridurale: moi et moi et moi et moi. Sinon elle aimait bien la Syrie, elle vivait dans le bel appartement d’une famille syrienne aisée qui avait pris la fuite, ça ne la troublait pas du tout non plus. Sidérant, ahurissant, désespérant et inhumain. On se demande: mais je croiserais donc régulièrement de telles personnes, incapables d’imaginer ce que peut ressentir autrui? Et certaines sont médecins? Ça donne le vertige.

Mais attention, attendez-vous à pire, puisque dans un autre témoignage, on apprend que dans ces maisons pour femmes où vivent dans de grandes pièces communes celles qui ne sont temporairement pas mariées ou veuves, avec leurs enfants, des écrans passent en boucle des vidéos d’enfants qui exécutent des prisonniers. Les enfants grandissent donc avec ces images. Une de nos témoins raconte: «Ça saoule». Elle n’est pas choquée, bouleversée, anéantie, non elle est simplement saoulée de voir toujours le même film d’un jeune Kazakh qui  tue un Russe….  

Après son retour de Syrie, le fils du couple de médecins a été laissé libre, sous surveillance, avec un bracelet électronique. En quoi consiste donc cette «surveillance»? Eh bien, Thomson nous raconte justement l’histoire d’un jeune Niçois parti en Syrie après avoir été endoctriné à Nice par un homme bien connu des services de police, qui avait été arrêté alors qu’il tentait de se rendre en Afghanistan et au Yémen avec une dizaine de personnes. Le groupe est ensuite été laissé  libre sous «surveillance policière» avec bracelets électroniques. L’un d’entre eux se lance dans la prédication et le recrutement de jeunes Niçois. Lui aussi promet le paradis à ceux qui le suivent et l’enfer à ceux qui le rejettent, et encore une fois, grâce à cette ahurissante et récurrente crédulité, ça marche.

Le recruteur opère en toute impunité

Évidemment, il ne travaille pas, il passe ses journées à produire des vidéos de propagande: sept «saisons», soit sept ans de production, et il devient une figure majeure de la djihadosphère francophone. Il génère des dizaines et des dizaines de vocations dans toute la France et finit par partir pour la Syrie avec tous ses disciples, dont ce jeune adolescent. Celui-ci est légèrement plus lucide que d’autres, car il dénonce la passivité du maire de Nice Christian Estrosi, qui a laissé cet homme, Omar Omsen, travailler en toute impunité et recruter plus de 100 djihadistes sans être inquiété alors qu’il était censé être sous «surveillance policière». Le jeune ex-djihadiste continue malgré tout à pratiquer l’islam.

Heureusement il y en a un, plus intelligent que les autres, qui a été déçu mais qui est aussi repenti,Djihadiste enfant tueur2.JPG quand les autres ne sont que déçus. Lui a apostasié, et porte un regard lucide sur son  parcours, ses anciens compagnons, leurs  pensées, et la «déradicalisation» qui selon lui ne sert absolument à rien.

Ces images « qui saoulent »

Il raconte: «Il faut se mettre dans la tête des gens qui pensent comme ça. Ils pensent au Paradis et à l’Enfer. Ce qu’ils veulent ces gens, c’est pas l’islam de France, c’est l’islam tout court. Eux ce qu’ils veulent, c’est la porte pour aller au Paradis.»

On en revient à cette fameuse crédulité: oui toutes ces souffrances se produisent  parce que des gens égoïstes et crédules pensent aller au Paradis en tuant des gens parce que «le Prophète il était comme ça, donc nous on fait comme lui». C’est simple, tellement simple que les gens moins simples ont du mal à imaginer que certains pensent aussi simplement. Il raconte aussi comment pendant sa radicalisation, les profs qui insistaient tant pour dire que les attentats n’avaient rien à voir avec l’islam et n’avaient pas de motivations religieuses, l’avaient exaspéré: «Plus ils me disaient c’est pas ça l’islam, plus j’étais convaincu du contraire (…) Un jeune, même si tu lui dis «non, y ’a pas écrit ça», il va aller se renseigner le type, il est pas con. Il va chercher s’il y a bien écrit ça, et il va voir qu’il y a bien écrit ça …»

«J’ai pas cherché des raisons de vivre dans le communisme, parce que ce n’était pas dans l’éducation qu’on m’avait donnée. On m’a inculqué des valeurs religieuses, je me suis donc tourné vers la religion.»

Ce qui est surprenant c’est que le journaliste trouve que l’apostasie de cet ex-djihadiste est une forme de radicalité. Il nous dit: «Pour autant son acception peu consensuelle de la religion musulmane reste empreinte de radicalité. Le jeune homme se considère désormais comme un apostat, un ex-musulman.»

«C’est toujours la faute des juifs, des sionistes»

En ce qui me concerne, ce jeune homme m’a semblé être la seule personne sensée et lucide du livre. Ses parents une fois encore n’ont rien remis en question et pensent que l’État islamique n’a rien à voir avec l’islam et que c’est un complot sioniste. Il raconte: «Ils sont toujours dans le déni. C’est jamais la faute des musulmans, c’est toujours la faute des mécréants. Toujours la faute des juifs, des sionistes. C’est toujours les juifs qui financent. »

Pour finir, parlons des femmes. Elles savent très bien ce qu’elles font, et sont tout aussi radicales que les hommes. Mais jusqu’à l’attentat déjoué aux bonbonnes de gaz à Paris, la justice ne les avait pas inquiétées, car on pensait qu’elles étaient des victimes. Pourtant, elles ne cachaient pas leurs opinions. L’une d’elles juge que les enquêteurs se moquaient d’elle en lui posant des questions sur la religion: «C’est quoi le djihad, c’est quoi les cinq piliers de l’islam, c’est quoi mourir en martyr ?» Parce que, dit-elle: «Ils veulent prouver que la plupart des gens qui sont partis là-bas sont paumés religieusement (…) Et ils me demandaient si j’étais d’accord avec ces actes (les décapitations de l’EI), et s’il fallait les tuer. Je leur ai dit «mais c’est dans la charia, j’ai pas à être d’accord ou pas d’accord, la charia c’est la charia, point barre.» Cette jeune femme est celle qui n’est revenue que par peur d’accoucher sans péridurale. Elle ne remet absolument rien en question! Elle est étudiante en… sciences de l’éducation et libre comme l’air!

Bon, je ne vais quand même pas tout vous raconter, il vous reste encore beaucoup à découvrir dans ce livre qui se lit très facilement. Achetez-le, il est en livre de poche et il faut soutenir les rares vrais journalistes qui existent encore. Thomson, qui était sous protection policière, dit avoir rencontré des djihadistes qui sont chauffeurs de taxi, agents de sécurité et même auxiliaires de police au guichet d’un commissariat. Il a finalement choisi de quitter la France pour aller vivre aux Etats-Unis: «Je ne sais pas si on peut s’habituer aux menaces de mort.» 

Sophie